Réunion de la BCE : une occasion manquée ?
La conférence de presse de Christine Lagarde qui s’est tenue hier à la suite de la réunion de politique monétaire de la BCE avait ceci de particulier que rien n’était réellement attendu sur le plan décisionnel ; l’enjeu se résumait à l’actualisation des chiffres d’inflation et de croissance et les investisseurs étaient essentiellement dans l’expectative des commentaires sur la force de l’euro et de signaux d’actions supplémentaires. Sur ces plans, ce fut une réunion sans surprise ni fausse note ; mais on peut se demander si Christine Lagarde n’a pas raté une opportunité de passer un message plus accommodant compte tenu de la faiblesse de l’inflation et de la reprise de la pandémie. Est-ce pour cette raison que Philip Lane s’est exprimé de manière prudente ce matin pour corriger la tonalité ?
Décryptage
Pas de changement donc. La BCE a laissé ses taux inchangés et n’a pas jugé nécessaire d’envoyer dès maintenant un signal sur l’extension du programme d’achats d’actifs (EPPP) de 1350 milliards d’euros au-delà de juin 2021. Ceci conduit de ce fait les observateurs à se concentrer sur le discours et sur la mise à jour des prévisions, deux éléments qui renvoient un message un peu différent.
Sur le plan des prévisions, la BCE a révisé à la baisse sa prévision de PIB pour la zone euro en 2020 de - 8.7% à -8.0%, tablant sur une forte reprise au troisième trimestre malgré le tassement identifié de la reprise des services. La BCE a également révisé à la hausse son estimation d’inflation pour 2021 à 1.0% et son estimation de l’inflation cœur pour 2022 est également révisée à la hausse sur la base de l’impact positif des politiques monétaires et budgétaires actuellement engagées. Si l’on s’en tient aux prévisions, la BCE envoie donc un signal plus « hawkish » aux marchés, qui ont de ce fait poussé l’euro à la hausse dans l’après-midi contre le dollar.
Concentrons-nous maintenant sur les éléments de langage, qui eux s’inscrivent dans la continuité des précédentes conférences de Christine Lagarde, et traduisent une grande prudence dans l’analyse de la situation, soulignant par exemple une inflation qui restera négative jusqu’à la fin de l’année. Ces propos laissent beaucoup de portes ouvertes pour une extension des mesures accommodantes dans les mois à venir en fonction de l’évolution de la pandémie et de la conjoncture ; En effet la Présidente de la BCE n’a pas manqué de souligner que les risques économiques étaient essentiellement baissiers et de marquer sa préoccupation concernant la pandémie qui demeure le principal risque pesant sur la reprise.
Très attendu, le commentaire de Christine Lagarde sur la devise n’a pas surpris, tant il respecte les canons de la politique de l’institution de Francfort : le taux de change n’est pas un objectif en soi mais la force de l’euro est suivie de près par la BCE au titre de la pression baissière qu’elle induit sur l’inflation.
Philip Lane qui avait préparé le terrain sur le sujet il y a quelques jours s’est exprimé ce matin pour ajouter une teinte de prudence à ce tableau, en indiquant que « le conseil des gouverneurs de la BCE se tenait prêt à intervenir et ajuster si nécessaire tous ses instruments pour s’assurer que l’inflation évolue vers son niveau cible ». Le Gouverneur de la Banque de France a également renforcé le message sur la devise au-delà de l’impact déflationniste de l’euro fort en rappelant les implications négatives pour la compétitivité des prix des exportations de la zone euro.
In fine, la BCE aura sans doute jugé plus sage d’attendre plutôt que d’anticiper, et de ne pas sur-réagir à l’inflation négative du mois d’aout (-0.2% en zone euro). La reprise de l’épidémie en zone euro (désormais plus de cas en Europe continentale qu’aux Etats-Unis), et la perspective grandissante d’une sortie sans accord en fin d’année du Royaume-Uni de l’UE sont autant de risques qui, s’ils se matérialisent, nécessiteront une réponse monétaire. Toutes les options sont donc ouvertes pour les mois à venir, et dans ce contexte, il est légitime de s’attendre soit à une extension du programme d’achats d’actifs de la BCE, soit à une éventuelle nouvelle baisse des taux, mesure dont l’efficacité resterait discutable sur le plan de la croissance, mais dont profiteraient essentiellement les gouvernements, les porteurs actuels d’obligations et qui viendrait à nouveau pénaliser les banques à moins d’une révision du schéma de tiering des dépôts.
11 septembre 2020